jeudi 29 octobre 2015

Ma petite histoire du film noir



J'aime à penser que le film noir, l'amour et la nostalgie que je lui porte, sont liés à mon enfance. A cette fameuse soirée de deuil. Mon père avait laissé ma mère aller seule prendre son train pour se rendre à l'enterrement de sa mère histoire de ne pas rater la diffusion du remake de M le Maudit à la télévision. L'enfance, puis l'adolescence, l'interdit, la clandestinité. Le soir des ciné-clubs de cette même télévision. Les cycles Aspects du film noir. La découverte, puis l'oubli de bon nombre de films, d'autres qui s'imprègnent à jamais, en somnambule excité, affamé, frustré. 
J'avais vaguement entendu parler de l'histoire de Pick up on South Street et de son étrange titre français, Le Port de la drogue. Alors que le récit se centre sur un trafic de microfilms en pleine Guerre froide, la puissance de la CGT dans les années d'après-guerre au sein de la corporation des distributeurs français gomma l'aspect politique pour inventer une histoire de drogue pourtant totalement absente du scénario. Mais à vingt ans, dépourvu de la moindre culture politique, je me foutais royalement de ces anecdotes et ne voyais dans ce film que son aspect purement sensuel. Cette scène d'ouverture, le Noir et blanc, la lumière, la banalité de la situation, le gros plan, le magnétisme de Richard Widmark, la mise en vulgarité de Jean Peters – future femme d'Howard Hughes –, son attente, l'équivoque, la fausse drague, mariage de la perfection d'un Bresson et du Hollywood d'un Wilder, en font l'une des plus troublantes, les plus mémorables, de ma petite histoire du cinéma. 
J'ai croisé une fois Samuel Fuller. Ou plutôt suis allé l'écouter faire le spectacle dans une petite salle de Beaubourg dans les années 1980. Il était comme ses films, comme ses mémoires que je lirais plus tard, simple, direct, ambigu, fascinant, malin, désarçonnant, indispensable, irremplaçable.


2 commentaires:

  1. Ah ce qu'on a pu s'en taper aussi, au tout début des 70's, vautré dans un fauteuil, passé minuit, avec un énorme paquet de chips ou un kilo de fromage, quand tout le bled roupille, des bobines qu'on n'aurait jamais pu voir autrement ! Ainsi, en pleine cambrousse, pouvait-on devenir sans aucun cinoche à des dizaines de kilomètres à la ronde, devenir un autodidacte de la cinéphilie.
    Je vois donc parfaitement ce que vous racontez.
    C'est aussi pourquoi je me délecte du recueil de Jean-Patrick Manchette, Les yeux de la momie, qui chronique ces choses avec grand style et humour (même si il dégomme mes chouchous Woody Allen, Tarkowski ou Fellini ). Un sacré bouquin !
    Quant à Samuel Fuller ne trouvez-vous pas que, vieux, il a parfois des airs du vieux Bukowski ?
    Sans ces deux là, où serions-nous ?!?!
    Bravo pour vos chroniques cher ami !

    L. W.-O.

    RépondreSupprimer
  2. Merci, merci. Ce sont juste quelques bouffées de mémoire et des montées de chaleur nostalgiques, notées à la va-vite... J'ai parfois peur de revoir certains films, de trop bousculer mes certitudes les concernant (Tarkovski, Fellini, Antonioni...)
    Fuller et Bukowski, je n'y avais pas pensé. Même si je pense à Hank tous les jours. Tous deux Bigger than life.
    Portez-vous bien cher LWO !

    RépondreSupprimer