lundi 28 septembre 2015

Samedi soir, dimanche matin



- Tu fais quoi ?
- Tu vois bien : je regarde par la fenêtre. T'entends pas tout ce boucan ?
- Tu vois quoi ?
- Des jeunes qui se hurlent dessus.
- C'est l'effet smartphone, ils se hurlent dessus maintenant même lorsqu'ils sont face à face.
- Oui, mais, j'ai l'impression qu'il s'agit d'autre chose.
- C'est où ?
- En face, dans la grande maison. 
- Ce doit être une fête. Les parents sont à la campagne et les enfants ont invité des copains. Reviens te coucher.
- On n'entend pas de musique. 
- Ce doit être bien isolé.
- Ils devraient savoir que c'est bien isolé, pourquoi ne restent-ils pas à l'intérieur ? Quel besoin y a-t-il d'être dans la cour ?
- Pour fumer. 
- J'ai jamais aimé les jeunes…
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Je m'étais couché tôt en espérant passer enfin une nuit correcte.
- Moi, je savais que ça allait être dur.
- T'étais au courant, pour la fête ?
- Mais non ! Je savais que j'allais mal dormir parce que je suis trop déprimée.
- A cause de Darty ?!
- Je leur avais bien dit que ça allait m'être débité deux fois !
- Mets-toi à la place de ce jeune vendeur. Sa machine s'éteint, pas de ticket, pas de trace d'encaissement.
- Mais je le lui ai dit ! D'habitude, s'inscrit une formule du genre : "Arrêt de la transaction", là, rien.
- Oui, mais rien, ça peut vouloir dire, dans la tête du vendeur, pas de vente, pas d'encaissement. Il ne peut pas te laisser partir avec ton produit sans être certain que tu as payé. Trop peur de se faire virer ou que ce soit retenu sur son salaire.
- Ok mais, moi, ça explose mon autorisation de découvert, ce double-encaissement ! Et il va falloir que je me déplace encore une fois pour être recréditée !
- Attendons qu'ils te rappellent. 
- Entre ça et le scénario réécrit pour rien…
- Je savais que Darty n'était pas la seule cause de ton nervousse brèquedone. Ecoute, c'est dommage, ce temps perdu, mais que les producteurs veuillent revenir à la première version, ça signifie quand même que tu avais, dès le départ, fait un bon boulot.
- Mais les ayants droit ne la validaient pas, cette première version. C'est ça qui est énervant. Ils te font réécrire, tu édulcores et finalement, ça dénature le projet. Et au final, le film ne se fera peut-être jamais. 
- Tout le monde est super excité par le projet ! Il se fera.
- En attendant, je vais devoir réécrire, sans être payée.
- C'est comme ça, ce métier. Tu le sais bien.
- J'aimerais bien faire autre chose ! J'en ai marre !
- Faisons autre chose…
- Oh, non, j'ai pas envie, avec tout ce boucan…
- Tu n'entendras plus que mes coups de boutoir !
- T'es con… Pourquoi tu te relèves ?

- Cette fois, y'a vraiment du grabuge !
- Comment ça ?
- Je crois que ça dégénère ! J'ai vu un type frapper une fille !
- Tu plaisantes ?
- Ça gueule de partout !
- Ça, j'entends ! 
- Incroyable : une décapotable vient d'arriver avec cinq mecs à l'intérieur. Une fille est venue à leur rencontre, avec de grands gestes expliquant la situation. Et les cinq mecs se sont précipités vers l'intérieur en se frottant les mains et en mettant leur cagoule. 
- Tu déconnes ?
- Oh, la vache ! Ça bastonne sévère ! Ils sont trois-quatre sur un seul mec, couché à terre ! 
- Dehors ?
- Oui, sur la chaussée !
- C'est le mec qui avait frappé la fille ?
- Comment veux-tu que je le sache ?

- Qu'est-ce que tu veux faire ? 
- Je ne me vois pas me rhabiller et aller tenter de les séparer. Et je n'ai aucune envie d'appeler les flics.
- Un voisin a déjà dû le faire, avec tout ce bordel.
- Ils sont tous en week-end. Ils vont le massacrer ! D'autres groupes se sont formés, ça cogne de partout !
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je descends appeler les flics, tant pis !
- A poil ?
- Ils ne s'en rendront pas compte !

- Tu les as eus ?
- Oui. Je déteste ça. Et je me déteste…
- Ils ont dit quoi ?
- Je leur ai expliqué, des jeunes qui se bagarrent, une fête qui a mal tourné. Le mec me répond : une secte ? Non, une fête, pas une secte, une fête !
- Une secte ?! T'es tombé sur la caricature du flic, non ?
- Ensuite, il me demande : ils sont combien ? J'en sais rien. Environ, il insiste. Dehors, une trentaine. Mais dedans, j'en sais rien. En tous cas, il a pigé qu'il ne s'agissait pas d'une bagarre entre deux poivrots. Il m'a demandé s'ils avaient des armes ! 
- Des armes ?!
- Tu oublies dans quelle ville tu vis ?
- Oui, mais des armes dans ce quartier bobo…
- Ce sont les réflexes des flics, comme ceux des vendeurs de Darty. 
- Il envoie quelqu'un ?
- Une patrouille. 
- Il a dit ça, une patrouille ? 
- Ce sont ses mots.
- Qu'est-ce que ça picole, dans les soirées entre jeunes ! Dans quelques années, c'est ma fille qui sera invitée dans ce genre de fête. 
- Les miennes le sont déjà. Y'a de la casse ! Des bouteilles volent !
- Viens te recoucher.
- Je vais pisser.
- Les flics sont là. C'est bien, ils se sont déplacés.
- Tu vois ?
- Ils ne sont que deux ! Tu parles d'une patrouille.
- Pas possible. 
- J'y vais à mon tour.
- Tu dis n'importe quoi. Y'a un flic avec une mitraillette. D'autres avec des torches.
- Une mitraillette ? N'importe quoi !
- Faut bien les impressionner, les gamins de bobos.
- Fais voir.
- On a un beau spectacle, vu d'ici. Tu vois bien qu'ils sont toute une patrouille.
- Ils les éparpillent ?
- Déjà, cet après-midi, dans ce café, je me suis senti vieux. La moyenne d'âge était très basse, tous en bande, tous avec leurs smartphones.
- Exact, je les ai observés, ceux de la grande table d'à côté, quand tu es allé aux toilettes. Ils ne se parlaient pas, ils consultaient leurs écrans, leur répondeur…
- Et là, j'appelle les flics, comme un vieux con qui veut dormir tranquille.
- Tu as bien fait, mon chéri : ils étaient à plusieurs sur le pauvre gars.
- Oui, mais quand même… Ça fout un sacré coup de vieux.
- Faut pas voir les choses comme ça. Tu lui as peut-être sauvé la vie.
- Il avait frappé une fille. C'est sûrement un sombre crétin !
- Peut-être, mais si on éliminait tous les crétins, il resterait plus grand monde. Allez, viens te recoucher.
- Pourquoi on n'entend pas la musique ? 
- Tu ne la supporterais pas, la musique qu'on joue dans ces soirées.
- Ah, parce que tu la connais, toi, la musique qu'ils passent dans ces soirées ?
- Non, mais j'imagine…
- Je crois que je préfèrerais entendre n'importe quelle musique débile à ce brouhaha que même les flics n'arrivent pas à calmer.
- Ils vont finir par rentrer chez eux !
- Putain !
- Quoi ?
- Ils ne vont pas partir si vite ! Le premier métro, c'est dans plus d'une heure et demi !
- J'avais pas pensé à ça. Moi, quand j'avais leur âge, je partais toujours avant le dernier métro.
- Les fêtes, aujourd'hui, ça ne se termine pas au dernier métro, mais au premier. 
- C'est vrai qu'on se sent vieux…
- A notre âge, on ne pourra pas y couper : faut investir dans les boules quies pour pas être tenté d'appeler les flics en permanence et finir par voter Marine, comme Onfray…
- Qu'est-ce que tu racontes ?
- Les boules quies et un bonnet de nuit ! Note !

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