samedi 12 septembre 2015

Alcôve secrète



- Tu es encore sur ton blog ?
- Je n'en ai plus pour longtemps.
- J'ai l'impression qu'on ne se voit plus, que tu ne me racontes plus d'histoires, tout passe par le blog.
- Tu n'exagères pas un peu ?
- De plus, si j'en crois Libé, les blogs, c'est fini.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Tu te mets à croire Libé ? Pourquoi pas Elle pendant que tu y es ?
- T'as pas lu ce papier, Vie et mort des blogs ?
- Dans Libé ?
- Oui. 
- Tu sais bien que ça fait des années que je n'achète plus ce journal…
- Moi non plus, c'est sur le site.
- Depuis qu'il a été refait, je n'arrive plus à y aller. On dirait un blog confus. C'était quoi ce papier ?
- Les blogs sont morts, les échanges se font désormais par Facebook et les réseaux sociaux.
- Ah…
- Tu ne crois pas ?
- Je ne sais pas et je m'en fous.
- Tu ne peux pas être aussi détaché de l'époque dans laquelle tu vis.
- Ah…
- Arrête avec tes "Ah…", ça m'énerve.
- Bon.
- Attends, je vais te retrouver ça.
- Oh, pas la peine.
- Si, si, attends. Comment faire ? C'est vrai que ce nouveau site est peu lisible.
- De mal en pis.
- Ne sois pas si négatif. Si je tape "mort des blogs" ?… Rien…
- Laisse tomber, ça n'a pas d'importance, raconte-moi ce que ça disait.
- Ah, ça y est !
- Merde…
- Les blogs sont morts. Voici leur histoire.
- C'est le titre de l'article ? Qui a écrit ça ?
- C'est un blog, en fait.
- Un blog sur le site de Libé ?
- Oui, un type qui s'appelle Vincent Glad, journaliste free-lance.
- Connais pas…
- Il a travaillé à 20 Minutes, Slate.fr et Canal+…
- Tout s'explique.
- Il écrit, dans sa présentation, qu'il envisage sereinement les années 2010 et croit au retour du macro-tweeting.
- D'accord…
- T'es d'accord avec lui ?
- Non, je dis d'accord, OK, très bien, parfait…
- Il a l'air mignon.
- Pourquoi ? Y'a sa photo ?
- Oui.
- Ils ne doutent de rien. Fais voir… Mais, c'est un gamin !
- T'es jaloux, mon chéri ?
- Absolument pas, dis-moi plutôt ce que raconte le bellâtre…
- Donc, le blog était un des fétiches des années 2000 et il n'en reste plus rien.
- C'est le résumé ?
- Non, le chapô.
- Chapeau ! J'adore ce genre d'expression, un des fétiches des années 2000…
- Il parle de Loïc Le Meur, un pionnier des blogs apparemment…
- Connais pas…
- Les médias traditionnels diffusent des messages, les blogs démarrent des conversations.
- Ouh la…
- C'était le credo de ce Loïc Le Meur…
- Ah...
- Mais maintenant, nous dit Glad, la conversation ne part plus de là, mais des réseaux sociaux.
- C'est sûr…
- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'es ni sur Facebook, ni sur Twitter, ni sur Instagram…
- J'aime cette idée de n'être nulle part…
- Ça te perdra.
- Je le suis déjà.
- J'aime pas quand tu es comme ça.
- Quand je suis moi ?
- Arrête.
- Bon, lis-moi la suite alors, si tu veux bien…
- Le blog a démocratisé la publication mais a laissé de côté le problème de la diffusion.
- Ah...
- Mais les réseaux sociaux ont changé la donne.
- Ah oui, changer la donne, j'adore aussi, comme bouger les lignes...
- On ne recommande plus un blog mais un article. Et même Blogger - t'es pas là-dessus, d'ailleurs ? - a créé les blogs jetables avec Medium...
- Connais pas... De toute façon, tout est désormais jetable. Une info, un billet en remplace un autre, tout s'oublie...
- Tu vas me faire le coup de la mémoire perdue car confiée aux machines ?
- Pas besoin...
- Attends, Medium est « designé pour les petites histoires qui rendent votre journée meilleure et pour les manifestes qui changent le monde ».
- C'est le credo de Medium ?
- Apparemment, oui. C'est entre guillemets.
- C'est tout ?
- En gros, oui. Bla bla bla, les derniers blogs intéressants sont, selon notre ami Glad, Maître Eolas...
- Connais pas...
- Titiou Lecoq...
- Pas mieux...
- Et Jean-Luc Mélenchon !
- Eh eh eh... Tu déconnes, là ?
- Non, regarde.
- Pas possible... Je le vois bien, le gars Glad, lire tous les jours les papiers de Jean-Luc...
- Ne sois pas méprisant. Et les blogs cuisine et mode, chez qui, dit-il, l’identité de l’auteur reste primordiale.
- Les blogs chez qui ? Il écrit comme ça ?
- Oui, et il finit par dire qu'il a un blog lui aussi.
- Un autre ?
- Attends. Non, le lien renvoie vers ce blog hébergé par Libé. Il conclut quand même en disant que les blogs ont gagné, leur esprit est désormais partout, et certains journalistes osent maintenant dire "je"...
- Ah, très bien...
- T'en dis quoi ?
- De ?
- La mort des blogs.
- Je ne savais pas. Je n'ai pas reçu de faire-part.
- Non, sérieusement.
- Tu crois que c'est une question sérieuse ?
- Moi, j'ai l'impression que ton blog est un dérivatif.
- Un dérivatif à quoi ?
- A ce que tu devrais écrire.
- Et qu'est-ce que je devrais écrire ?
- Autre chose, tu le sais bien.
- Des articles ? La presse est morte.
- Non, un roman, des nouvelles.
- La littérature est morte.
- Tu ne peux pas être sérieux deux minutes ?
- Le sérieux est d'un ennui... Et ça fait dix minutes qu'on est sérieux, là.
- Tu ne t'es jamais demandé pourquoi tu passais autant de temps sur ce blog ? 
- Bien sûr, mais je n'ai plus envie de me le demander. Autrement, j'arrête. Nos consolations est un cahier de brouillon...
- Je croyais que c'était un journal infime.
- Infime et infirme.
- Tu parles de brouillons, c'est donc pour autre chose !
- Bien sûr.
- Ben alors ? Pourquoi perdre du temps sur ce blog ?
- Pour ne pas créer de chagrin inutile auprès de mes nombreux fidèles. Et puis, si les blogs sont morts, la possibilité d'être ringard, dans cette époque, me plaît.
- Fais gaffe à ne pas être ringard en revendiquant ta ringardise !
- C'est exactement ce que, dans mon souvenir, La Main de singe, l'un des premiers blogs que j'ai suivi, un peu par hasard et dont l'arrêt, assez long, m'avait dérouté, écrivait lors de son retour.
- Ah oui, ça me dit quelque chose, tu m'en avais fait la lecture ?
- Possible. Je souscris entièrement à ce texte. A part, je crois, quelques auteurs cités que je ne connaissais pas.
- D'accord, mais ce n'est pas toi.
- Non. C'est un type qui s'appelle Owen quelque chose. Watt-Owen, un truc dans le genre.
- Un pseudo.
- Sans doute.
- Comme toi.
- Il est temps que tu le saches, Nos consolations est bel et bien mon véritable nom.
- Tu vois, tu te caches sans cesse.
- C'est ce qui me permet d'écrire ce que je veux.
- Mais pas ce que tu devrais. Tu arrives bientôt ?
- Oui, tu n'auras même pas le temps de lire une page de Yalom que je serai à tes côtés !
- Je sais que je dormirai quand tu te coucheras.
- Non, regarde, j'éteins, je finirai demain.
- Je ne veux pas t'empêcher d'écrire.
- Trop tard, tu as semé le doute en moi, je ne peux plus écrire, je ne suis plus que questions. 
- Quoi ?
- Rien, je vois ton petit air satisfait, mais ne va pas t'imaginer je ne sais quelles acrobaties érotiques, le doute m'habite entièrement... Tout ce que je peux faire, et encore je n'en suis pas sûr, c'est lire à tes côtés...
- Ecoute, n'éteins pas, mon chéri, tu risques de mal dormir si tu n'arrives pas à finir ton billet, je me consolerai avec Yalom...

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