samedi 1 août 2015

Un ciel sans nuages

Dans la voiture, Audrey avait passé son casque MP3 sur les oreilles et mangeait sa glace l’air rêveur. C’était le portrait craché de Maria. Je ne sais pas à quoi ressemblait son père. J’avais toujours refusé de le voir. La vie était trop courte pour s’encombrer de telles rencontres. Peut-être y avait-il chez Audrey une certaine raideur hérité de son paternel. Mais les yeux, la moue, l’air de dire On ne me la fait pas, c’était Maria. Il lui manquait juste la gaîtée indécrottable de sa mère lorsque je l’ai connue, malgré tous les coups durs qu’elle avait déjà subis. Audrey n’avait pas l’air plus préoccupée que ça par la situation. Nous étions en direction de la maison et elle ne pouvait se douter alors, mais moi non plus, que tout allait déraper.
- T'as pas mal aux oreilles ? 
- Quoi ?!
Je lui fis signe d'enlever le casque.
- T'as pas mal aux oreilles ?  
- Pas du tout !, dit-elle en prenant la pose avec ses boucles d'oreille.
Le téléphone s'est remis à sonner.
- C'est maman ?
- Je peux pas répondre là, je conduis.
- Je peux répondre, moi.
- Pas la peine. On est bientôt arrivés. 
C'était incroyable d'être là, dans cette voiture, tous les deux de nouveau réunis. Quand allais-je la revoir ? Cette conne de baby-sitter avait certainement prévenu Maria. Comment allait-elle réagir ? Je n'avais pas écouté son message et j'étais incapable d'affronter son nouvel appel. L'alcool m'avait épargné depuis longtemps la quête commune de la lucidité, de la sérénité, d'un confort de vie mortel. 
- T'es grande maintenant, Audrey. Il faut que tu dises à maman que t’es contente de me voir, que ça te fait du bien, que t’as envie que tout redevienne comme avant.  
- Tu crois qu'elle sera contente ?
- Pourquoi pas ? 
- Elle aime pas, maman, quand je parle de toi.
- Les histoires des grands, c’est un peu compliqué. Mais à partir de maintenant, ça va changer…
Elle a fait semblant de me croire et s'est replongée dans sa musique, l'air ailleurs. J'allais tout droit à l'abattoir. Je l'ai su lorsque nous sommes arrivés dans le quartier de Maria. Un pressentiment qui me fit frissonner. La peur peut-être, qui m'était étrangère pourtant depuis longtemps. Devant la maison, une voiture de flics était garée. J'ai maudit la baby-sitter, le père d'Audrey, Maria, l'amour et la terre entière. J'ai essayé de composer un calme apparent, et fait demi tour le plus discrètement possible. Mais ça n'a pas échappé à Audrey. Je ne savais pas quoi faire, quoi lui dire.    
- Pourquoi tu fais demi-tour ?  
J'ai écouté le répondeur. Maria était hors d'elle. Elle avait mis les flics sur le coup, voulait savoir où on était, m'insultait puis dans son deuxième message, plus calme et presque douce, et certainement les flics à ses côtés, elle me demandait de la rappeler au plus vite. 
- Tu peux me dire ce qui se passe ?!
- Ecoute, c'est incroyable ! Maman finit tard ce soir, alors, tu vois, elle a demandé un truc extraordinaire, je m'attendais pas à ça, elle propose, en fait, qu'on parte quelques jours à la mer, tous les trois, pour se retrouver…
Elle n'en croyait pas un mot, mais j'étais parti, l'alcool me rendait intarissable, un maître dans l'art de l'improvisation. 
- Tu vas voir, c’est un endroit merveilleux, on y est allé quand tu étais toute petite… C’est génial, non ? - Mais y’a école demain ! - Attends, je rêve : tu préfères aller à l’école que passer quelques jours à la mer ?! On s’en fout de l’école. C’est bientôt la fin de l’année de toute façon, tu peux bien rater un jour ou deux… Moi, je trouve que c’est une super idée… - J’ai même pas un maillot de bain ! - Moi non plus, j’en ai pas. On en achètera un sur place. C’est ça qui est bien quand on improvise des vacances : on part les mains vides, sans bagages, sans rien. Tu sais, dans la vie, faut pas toujours faire ce qui est prévu…
J'avais passé ma vie à ça, à ne rien faire comme prévu.

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