mardi 4 août 2015

On n'est pas bien, là ?

Vojtěch V. Sláma via Pop9

On a roulé comme ça un moment : la gosse à mes côtés, me passant la canette quand je le lui demandais et piochant dans le grand sac de chips jusqu’à réplétion. Et soudain, elle m’a lancé avec ce qu'il faut de honte dans la voix :
- Tu sais, dans le magasin, tout à l’heure, j’ai fait une bêtise.
- De quoi tu parles ?
L’ours encore ! Impossible de savoir comment elle s’était arrangée pour piquer ce foutu masque après la tempête. Je devais faire quoi ? De la morale à deux balles ? Il me semblait que j’étais mal placé pour ça. Je me sentais quand même responsable de cette gosse dont je m’étais, avec quelques hauts et beaucoup de bas, occupé trois ans durant.
- T’aurais jamais voulu l’acheter, de toute façon…
- C’est pas une raison.
Elle a haussé les épaules et s’est tournée vers sa fenêtre pour voir comment la nuit s’emparait des montagnes, du fleuve, de nous et de notre avenir.
- Tu promets de pas le dire à maman ? Elle aime pas quand je vole.
- Ça arrive souvent ?
- Pas trop, non. Tu promets, dis ? En échange, je dirai pas à maman que tu m’as fait mal tout à l’heure !
- Et tu crois que, la connaissant, ta mère elle se serait pas énervée, elle aussi, si elle avait été là ?
Elle n’a pas tardé à trouver la parade.
- Si tu dis rien, je lui dis pas que t'as bu en conduisant, et que des fois la voiture va de travers, et que c’est très dangereux. En plus, j'ai même pas l'âge d'être devant.
Je lui ai promis que c’était la dernière canette, mais à sa réaction qui prit la forme d’un petit rire moqueur étouffé, je compris que je ne trompais plus personne, pas même un enfant, et surtout pas celui-ci.
- C’est vrai qu’on va se voir plus souvent ?
- Il suffit de le vouloir. Pourquoi tu demandes ça ?
- Ben mon père, déjà, je le vois pas beaucoup.
Ce salopard, un connard de journaliste politique, après avoir trompé Maria tout le long de la grossesse, s’était barré alors que la môme avait à peine huit mois sans oublier, avant cela, de vider le compte commun. Des années plus tard, quand Maria et moi tentions de nous en sortir, il était revenu foutre la merde, réclamant ses droits, exigeant de prendre la gamine tous les week-ends, imposant ses vues en matière d’éducation, passant des coups de fil le soir « pour prendre des nouvelles », multipliant les stages de chantage, bourrant le mou à la petite sur mon sujet, sans oublier les petits mots doux et les regrets qu’il faisait parvenir à Maria par mail ou sms. Question pension alimentaire, en revanche, aucune nouvelle. Une ordure, je vous dis.
Je lui ai dit que pour ce vol, ce n’était pas très grave. Je lui ai raconté comment quand j’étais jeune et sans le sou, je chourrais des livres les faisant glisser dans la grande poche intérieure de mon imper de privé, comment je me débrouillais pour m’incruster dans des fêtes et des coquetèles pour bouffer et picoler gratos.
- Simplement, ne dis pas à ta mère que c’est moi qui te l’ai acheté, cet ours, j’aurais trop honte : il est vraiment affreux !
Ça l’a fait rire, et elle s’est endormie peu après, soulagée par la grâce qui lui avait été accordée. Nous longions enfin la côte basque et je songeais à tous les mensonges, les ratages, les bassesses, les lâchetés qui avaient bercé mon existence et à leurs produits qui me conduiraient à la tombe, à ce qui m’attendait maintenant, à cette gamine plongée dans le sommeil le sourire aux lèvres, à sa mère qui nous rejoindrait le lendemain et je me disais que j’avais quand même parfois frôlé le bonheur.

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