vendredi 7 août 2015

La morale des autres



J'ai retrouvé ma chaussure en bas des marches. Je ne sais pas comment j'ai réussi à remonter. Dès la porte de la chambre ouverte, je suis rentré dans une lampe qui est allée se briser comme une conne au sol. La gamine était toujours dans la même position que lorsque je quittai l'hôtel. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre. Je me suis passé de l'eau sur la gueule, sans prendre la peine d'allumer dans la salle de bains, sans regarder ma stupidité dans la glace. A quoi ça rimait ? Fallait que je file. Je pouvais laisser la gosse là, sa mère, ou les flics la retrouveraient sans mal. Elle était où, Maria ? Et nous ? Quand est-ce que tout ça prendrait fin ? Pas de mini-bar. Il devait me rester quelque chose dans la voiture, mais je savais que si je descendais, c'était pour partir. J'ai bu de l'eau au robinet, ça avait le goût de la mort. Le ventre me déchirait. J'ai coulé un bronze peinard. J'ai toujours aimé faire ça dans les bons hôtels, l'épaisseur des murs vous enveloppe d'un confort sonore rassurant libérant à peine assis les sphincters reconnaissants. Je me suis lavé les mains et allongé, lové contre la môme, ma petite fille.
La lumière est venue me fracasser le crâne. J'ai cru que c'étaient les flics, que mon heure était venue, que j'allais enfin payer pour tous les désastres que j'avais semé sur ma route.
- Tu pues !
C'était Audrey qui ouvrait grand les volets.
- Tu pues, tu ronfles et j'ai faim !
- Quelle heure est-il ?!
Elle a pris les choses en main, m'a ordonné de passer sous la douche. J'ai obéi comme un enfant abandonné à la naissance. L'eau brûlait mes blessures, j'ai hurlé, elle a pris peur. Sur son visage je lisais honte et dégoût. J'avais gagné cette journée avec elle et c'était sûrement la dernière. Il fallait qu'elle soit belle, inoubliable. Pour plus tard.
On a fait monter un petit déjeuner et Audrey s'est régalée. Elle donnait l'impression de ne rien avoir ingurgité depuis des semaines. Moi, je n'ai rien touché. J'ai surtout cru défaillir devant le plateau. Ça devenait presque banal. Aux urgences, un interne m'avait récemment conseillé de me calmer, proposé une cure. Qu'ils aillent se faire foutre, tous autant qu'ils étaient ! Quel plaisir me serait-il resté si j'avais arrêté. J'arrêterai quand j'en aurais envie. Si j'en ai envie. Pour qui se prenaient-ils ces pisse-froid en blouse blanche, moralisateurs à deux balles  ?
On s'est mis en quête de maillots de bain et quelques affaires de rechange. Le choix s'était porté sur une boutique du port. J'ai reconnu l'endroit, j'y avais acheté une vareuse avec Maria. Notre village n'était pas loin. Ça excitait beaucoup Maria quand je portais ma vareuse. Je n'ai jamais su pourquoi. Une histoire d'iode certainement. Je l'ai toujours cette veste, quelque part, au fond d'un placard.

Le show Audrey a commencé. Elle avait dû voir ça à la télé ou sur internet. Tous les gosses étaient victimes de la propagande ambiante visant à instaurer via téléréalités mises en scène et journaux pipoles la tyrannie de la vulgarité et de la vacuité de la pensée. Mais tout le monde s'en foutait ! Je m'en voulais de n'avoir pas pris mon rôle d'éducateur au sérieux. D'avoir toujours cru que je n'avais aucune légitimité en la matière, comme dans tous les autres domaines.
- Il est trop beau, non ?
- Non. J'aime pas le jaune.
- T'as raison, moi non plus. Et celui-ci ?
- Pas de ton âge.
- Ah bon ?
- Ta mère me tue si je t'achète ça !
- Moi, j'aime beaucoup le rouge et le bleu. Tu préfères lequel ?
- On prend les deux !
- C'est vrai ?
Elle s'est jetée dans mes bras. Je ne puais plus, je n'étais plus dégoûtant, j'étais de nouveau son autre papa.
Je me suis trouvé un polo Lacoste en hommage à Léo Ferré et un pantalon en toile gris en hommage à l'alcool. La journée s'annonçait chaude. Il s'agissait d'essayer d'y faire face avec élégance. J'ai quand même acheté deux trois bières pour la route.
On a regagné la voiture. Une fournaise. Audrey a fait des manières pour y entrer. Et s'est soudain mise à réclamer sa mère, voulait lui parler, comprendre. Je ne retrouvais plus mon téléphone. Je suis resté calme. J'étais incroyablement détendu, fatigué mais serein. Je lui ai proposé de monter devant comme la veille et de rouler les portières ouvertes. Ça l'a étonnée, fait marrer, rendue conciliante. 
J'ai vite retrouvé le village. Il n'y avait pas de doute. Ces bâtiments blancs et noir, le kiosque à musique, et la montagne derrière, menaçante, je me souvenais de tout.



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