mercredi 5 août 2015

De la musique avant toute chose !



Il fallait arriver. J’étais épuisé par le voyage, la tension et l’alcool. Je sentais qu’il m’était de plus en plus pénible de fixer la route et ma tête piquer vers le volant de plus en plus fréquemment. Je me suis arrêté au premier village qui ressemblait à celui que j’avais en tête. Malgré la pleine lune, difficile de dire si c’était le bon. J’ai fait le tour du port et aperçu un hôtel à la sortie du village. Il était temps.
J’ai baragouiné à la réceptionniste que ma femme arriverait en fin de matinée, qu’elle lui donne notre numéro de chambre et lui dise, de ma part, de ne monter qu’avec les croissants ou, à la rigueur des macarons, mais je ne savais pas si on trouvait ça en Espagne. J'ai dû épeler macarons, alors que s'il y a une langue facile en matière d'ortographe, c'est bien l'espagnol ! Elle m'a expliqué que le son "on" n'existait pas, pas même en basque. Ça me disait vaguement quelque chose…
J’ai pris l'escalier avec Audrey dans mes bras. Heureusement, il n'y avait qu'un étage. Son poids était une autre marque du temps, celui que j’avais traversé en grande partie inconscient, absent, dans les vaps. L’enfant avait laissé la place à une jeune fille à qui je faisais franchir la porte de la chambre d’hôtel comme on le fait avec les jeunes mariées au cinéma. Je l’ai étendue sur le lit et ça l’a réveillée. Elle a réclamé une histoire, peut-être pour me faire plaisir, en souvenir d'autres temps. Je n’avais aucun livre sous la main, même pas la bible dans le tiroir de la table de nuit, étais fatigué, elle aussi, demain, promis. Elle n’a rien voulu savoir. J’ai alors chopé le dépliant touristique de la région, trônant devant le téléphone, et lui ai lu les grandes lignes, avec mon espagnol approximatif qui les faisait rire, elle et sa mère, avant. Ce soir là, elle m’a juste trouvé lamentable et s’est endormie rapidement. Je l’ai déshabillée entièrement. J’étais sans aucun doute le premier homme à voir ses petits seins fins, son corps encore immaculé. Oui, j’étais lamentable, pitoyable, irrécupérable, je savais tout ça, et ça me donnait soif.
Je suis descendu retrouver la réceptionniste. Elle semblait sortir de son sommeil, ou même d’un lit partagé, et me dévisageait comme lorsque l’on croit reconnaître l’ennemi numéro 1 dont le portrait a été diffusé à longueur de journées sur les chaînes d’info en boucle. Mais apparemment, il n’y avait aucune prime pour ma capture, aucun numéro d’urgence à appeler car elle m’a indiqué gentiment un bar ouvert tard sur le port. Je lui ai demandé de veiller sur la petite et je suis sorti.
J’ai toujours aimé traîner dans une ville la nuit. C’est la meilleure façon de la connaître. De voir ce qu’elle a dans le ventre. Des villes comme Paris par exemple n’ont plus grand-chose : un peu de mythologie, de paraître, de fierté d’avoir été, de marketing mensonger, mais pas plus. C’est aujourd'hui un grand parc d’attraction pour touristes amateurs de selfies. Peu de villes échappent à ce fléau. Les villes du sud peut-être. Lisbonne, Madrid, Barcelone autrefois, Naples… Dans ce vieux port basque, on pouvait sentir la présence, à cette heure de la nuit, du village d’autrefois, celui d’avant la désindustrialisation, de la mondialisation, des délocalisations, de la paupérisation qui s’est violemment abattue sur des peuples déboussolés, à qui on a martelé des années durant, pour mieux les préparer au désastre, que les idéologies étaient mortes, que les lignes avaient bougé entre droite et gauche, qu’il fallait faire preuve de souplesse et s’adapter, se sacrifier, oui, mais pourquoi, ça on se gardait bien de nous le dire.
Je divaguais comme ça en entrant dans le café qui passait à fond la caisse de la musique à danser, impersonnelle, consommable, interchangeable et oubliable. J’aurais voulu des cornemuses ou du flamenco, mais ce n’était pas l’endroit. J’ai gueulé ça en arrivant et, s’ils m’ont compris, ils ne l’ont pas montré. Une fille m’a entraîné dans sa chrorégraphie grotesque. La quarantaine bien tapée, elle avait un sacré coup dans le nez mais il aurait été indécent de ne pas suivre ses petits yeux, son nez en trompette et ses fesses avenantes moulées dans une robe rouge pétasse. Je me suis collé à elle tout en buvant mon cuba libre trop mal dosé. J’ai posé ma main sur ses reins, l’ai laissé glisser plus bas, je bandais comme un ado en manque d’affection quand elle m’a repoussé brusquement et un connard m’est tombé dessus par derrière. Je ne voulais de mal à personne, j'aimais tout le monde, je voulais qu'on s'amuse tous ensemble. Je ne me souviens plus de tous les détails. Je sais que j’ai réussi à balancer un coup de pied dans la gueule d’un mec qui m’avait allongé par terre d'un direct au menton. Ou bien, je l’ai rêvé. Ça n’a pas duré bien longtemps. L’ivresse a cet avantage que les coups deviennent plus supportables, qu’on désespère moins facilement de l’humanité, qu’on se croit plus solide que ce que l’on est vraiment. C’est le lendemain, avec la gueule de bois, qu’on se sent bien plus mortel que les autres, bien plus con, bien plus seul et encore un peu plus misanthrope. Mais c’est une autre histoire.
Je suis rentré à l’hôtel dans cet état. Et c’était déjà un exploit d’en retrouver le chemin. Aucune trace de la réceptionniste. J’ai alors pris peur pour Audrey. N’importe qui pouvait entrer ici comme bon lui semblait. J’ai grimpé les marches quatre à quatre et me suis étalé à quelques mètres du palier. C’est là que je me suis rendu compte de l’étendue des dégâts. Ma chemise portait des tâches de sang et d’alcool, mon jean était déchiré et j’avais perdu une chaussure.

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