jeudi 16 juillet 2015

Beau cul


L'église se dressait au bout de la place, et les bonnes sœurs regardaient ce spectacle effrayant à travers leur voile et les vêpres. Des groupes de nouvelles filles arrivaient des petites rues. Des groupes de quatre ou cinq femelles, toutes nippées avec la jupe de soie ou de satin, noire et brillante, où le soleil reflétait ses milles rayons. Elles cherchaient une place propice et elles faisaient le « beau cul ». Pour faire le beau cul, une femme doit se déhancher légèrement et faire reposer tout son corps sur une seule patte. L'autre, posée devant, et flottante, relève le cul. Certaines, qui avaient des fesses trop petites, écartaient les jambes tout en discutant et tendaient leur jupe. On pouvait sentir leur odeur en les frôlant et deviner leurs cuisses. 
J'approchai d'un des groupes. Filles à peine plus vieilles que moi, le visage peint. Je tendis l'oreille et saisis ici et là des bouts de conversations. Tout tournait autour des hommes, des hommes gentils et des hommes fripouilles. Pendant ce temps, les maquereaux faisaient leur boulot recruteur et lançaient des œillades aux saucisses chaudes qu'étaient les filles. Un vaste plat de choucroute occupait le centre de la place : vingt filles le composaient, sautillant et balançant leurs nichons pointus. Une odeur de saumure, de fermentation, de crevette aussi émanait de ce plat ; je le contournais en respirant et en écrasant dans ma paume la boulette de papier. Dans ce groupe plus important que les autres, on ne rencontrait que des jeunes filles d'environ quinze piges, qui ne savaient pas encore quoi faire de leurs jambes et de leurs lèvres. Toutes traînaient et ralaient par contenance et par ignorance aussi…
Fred Deux, La Perruque, 1969, réédition Le Temps qu'il fait, 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire