samedi 4 juillet 2015

Au lit avec Onetti



- Tu te lèves déjà ?
- Oui, rendors-toi.
- Tu vas écrire ?

- Traduire.
- Ah oui, c'est encore mieux.
- Pas sûr.
- Tu dis ça parce que tu n'as pas eu de réponse ?
- Oui, ça doit être comme les producteurs de cinéma, les éditeurs. Ils répondent quand ils le veulent, s'ils te répondent.
- Il faut que tu leur envoie un extrait.
- Oui, c'est pour ça que je descends, pour avancer.
- Il faudrait presque que tu fasses un petit dossier, une sorte de quatrième de couv', un topo sur l'auteur –personne ne connaît Tallon–, un résumé… C'est drôle ce que tu as déjà traduit ?
- Pas vraiment.
- Mince…
- Chérie, c'est drôle dès le début !
- C'est quel genre d'humour ?
- Le genre drôle. Et désespéré. Et philosophique. Et littéraire. Un peu dans l'esprit de Vila-Matas…

- Il faudrait que tu trouves un extrait qui accroche.
- J'ai été accroché dès le début ! Là, j'en suis arrivé à la scène qui donne le titre.
- Tu ne l'as toujours pas fini ?
- La scène ?
- Non, le roman.
- Non.
- Je ne comprends pas. Tu traduis le livre alors que tu n'as pas finis de le lire ?
- Tiens, c'est ce que me disait Tallon hier.
- Ben oui, c'est étrange. Et si ça ne te plaît pas finalement ?
- C'est justement la question qu'il m'a posée.
- Normal.
- Bien entendu, moi aussi, comme toi, comme lui, je me suis posé cette question. Et puis, contrairement à vous, j'ai réfléchi. Tu sais pertinemment que je n'aime pas ne pas finir ce que j'ai commencé. C'est pourquoi je me suis lancé dans la traduction. C'est ce que j'ai répondu à Tallon.
- Je ne comprends rien.
- C'est simple pourtant.
- Mais je suis encore endormie.
- Dors. On en reparle plus tard.
- Non, explique-moi.
- Je me suis tendu un piège. Pour m'obliger à aller au bout.
- Ah oui, je saisis. Comme ça, finalement si tu n'aimes pas  le roman, si tu penses que ça ne vaut pas la peine d'être publié, tu es quand même obligé d'aller au bout de la traduction.
- Tu vois ? C'est simple. De toute façon, il n'y a aucun risque. Je me sens bien dans ce roman. Comme en famille. En traduisant, en cherchant le mot juste, en construisant le texte en français, j'ai l'impression de l'écrire.
- Faut quand même pas délirer. Mais dis-moi, cette scène du titre, elle est comment ?
- A mourir de rire, simple, mais tellement absurde.
- Les toilettes d'Onetti ? Le wc d'Onetti ? C'est ça, le titre ?
- Oui.
- Pas facile à vendre. Personne ne connaît Onetti.
- Tu plaisantes ?!
- Peut-être en Espagne. Mais ici… Il y est vraiment question d'Onetti ?
- Ben oui.
- Et de ses wc ?
- Oui, oui. Je suis sûr que beaucoup de monde connaît Onetti.
- C'est quand même pas Garcia Marquez ou je ne sais pas… Kafka…

- …Faut peut-être changer le titre.
- Les wc de Kafka, ça aurait de la gueule.
- Là où Kafka faisait caca
- Oui ! Ça, ça marcherait. Les gens adorent Kafka. Tu aurais déjà une réponse !
- Je ne m'affole pas. Je les ai contactés par mail, il y a une semaine. Et puis, c'est juste deux éditeurs.
- Avec l'été, tu n'auras peut-être pas de retour avant septembre…
- Et en septembre, ils seront débordés par la rentrée littéraire…
- Je n'y avais pas pensé. Tu devrais en contacter d'autres. Avec un petit dossier.
- Je change le titre, tu penses ?
- Oui, essaie avec Kafka.

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