vendredi 19 juin 2015

La pute du Breton


- J'entends ton petit cœur. Ton cœur de pierre…
- Oh, ça va…
- C'est ton amoureux qui disait ça, non ?
- C'était pas mon amoureux.
- C'était qui ?
- Un garçon de ma classe, Jacques Le Guillinec.
- Un Breton.
- Le premier de la classe.
- Le premier Breton ?
- Un bon élève !
- Il n'était pas amoureux de toi ?
- Non, pas lui.
- Tous les garçons devaient être amoureux de toi. N'est-ce pas à cette époque qu'on t'a dit que tu étais une déesse digne d'admiration ?
- Adoration.
- C'est pareil, on n'adore que ce que l'on admire.
- Certes…
- Alors, ce Breton ?
- Il s'est tapé Nathalie Martin, la pute de la classe.
- Comment ça, la pute ?
- Elle n'était jamais là. Elle était plus âgée, je crois qu'elle avait redoublé plusieurs fois. Elle était souvent absente…
- Elle se prostituait ?
- Mais non ! On était au collège !
- Tu parles de pute...
- C'était son surnom entre nous, parce qu'elle était super maquillée, les cheveux jusqu'aux fesses. Et elle, elle couchait. On n'en revenait pas : Jacques Le Guillinec, le premier de la classe, sérieux, pas très beau, le nez en trompette, des taches de rousseur, qui se tape Nathalie Martin. Elle n'était jamais là et soudain, on découvre qu'ils sont ensemble.
- Comment ?
- C'est elle : "Jacques, il me l'a fait, il ne s'en vante pas, mais il me l'a fait". Je me demande ce qu'ils sont devenus.
- Ils ont l'âge aujourd'hui d'être divorcés, atteints d'un cancer, SDF...
- Je t'avais raconté : l'an dernier,
à une projection du film de Louise, à la SACD, j'ai revu un type, Gabriel, qui était au collège avec moi.
- Avec toi ? Tu veux dire que vous étiez ensemble ?
- On n'était pas dans la même classe, juste à la même époque. Je ne me souvenais pas du tout de ce mec. Il m'a abordée en me demandant si j'étais bien au collège Henri-Bergson.
- C'est lui qui affirmait que le rire était le remède à la vanité ?
- Gabriel ?
- Non, Bergson. Ton Gabriel, il avait recours à un vieux truc pour draguer.
- Mais non, comment aurait-il su que j'étais au collège Henri-Bergson ?
- Quelqu'un le lui avait dit.
- Il m'a donné l'année...

- Il n'y avait pas, à cette projection, quelqu'un qui te connait bien et qui lui a tout raconté ? Louise, par exemple.
- Il se souvenait parfaitement de moi. Il est sculpteur.
- Et que faisait-il à cette projection ?
- Sa femme est une patiente de Louise. Mais je t'avais raconté ça, tu ne t'en souviens pas ? Il habite, ici, à Montreuil !

- C'est quelqu'un qui t'a croisé dans la rue, au Super U, qui t'a suivi jusqu'à la SACD, un malade !
- C'est toi, le malade...
- Toi, tu te tapais qui à cette époque ?
- Personne ! On était en 3e ! Je n'avais même jamais embrassé un garçon. Je ne faisais rien. Absolument rien.
- Je ne te crois pas.
- Je te jure !
- Pas même dans ton lit ?
- Mais... !!!
- C'est bien ce que je disais.
- Arrête !
- Pourquoi ?
- Parce que j'ai soudain envie de toi !
- Une envie irrépressible, que tu n'arrives pas à contrôler ?
- Oui.
- Bon, ben allons-y. Mets-toi à quatre pattes.
- On n'a pas le temps, le réveil va sonner dans un quart d'heure.
- Un petit coup du matin, vite fait.
- Non, c'est trop triste. Ce que j'aime, tu sais bien, c'est pouvoir m'endormir sur ton épaule, après.
- Si tu ne m'avais pas raconté les histoires du Breton et de sa pute, depuis le temps qu'on est réveillé...
- Si je ne t'avais pas raconté tout ça, je n'aurais peut-être pas eu envie de toi, comme ça, le matin, mal réveillée, pas maquillée...
- Alors, vive la Bretagne ! Et vive les putes super maquillées !

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