mardi 23 juin 2015

En perdition

Ute Mahler


Qu'est-ce que je fais si je prends une balle entre-temps ? C'est sûr, je pourrais pas revenir !
J'attendais derrière elle. Je savais que j'en avais pour un moment. Quelques minutes auparavant, elle avouait à son fils ne pas savoir remplir son dossier. Le gamin, jambe dans le plâtre, appuyé sur ses béquilles, voulait l'aider. 
C'est pour les grands, pas pour les enfants. Tu ne peux pas m'aider. Arrête de te fâcher. A chaque fois que je te dis quelque chose, tu te fâches, c'est pas possible. Non, c'est pas pour acheter une voiture. C'est pour ce qui s'est passé hier avec ton père. Ils vont nous aider, ils sont là pour ça, pour aider les gens qui en ont besoin, comme nous. 
Je l'avais repérée un peu plus tôt, logorrhée sans fin, pleurs d'une voix à la dérive, le gamin sautillant sur ses jambes artificielles. Assez jeune mais larguée, depuis longtemps.
Elle ne voulait pas comprendre, n'y comprenait rien. L'agent d'accueil non plus. Il se plaignait de son ton agressif, elle ne savait pas de quoi il parlait, s'excusait, elle était encore sous le choc de la veille. Il comprenait. Lui réexpliquait. La différence entre assistance juridique et consultation gratuite  d'un avocat-conseil. Le gamin exigeait de ne pas être tenu à l'écart, tandis qu'elle essayait de transmettre à l'employé un message codé, imperceptible par son fils. L'employé reprenait : aucun rendez-vous possible avant mercredi.
C'est un cas d'urgence, vous comprenez ? Et vous, vous me dites Revenez mercredi ? Je fais quoi pour ne pas m'en prendre une d'ici là ? Je dors ici ? Avec mon fils ?
Le commisariat, madame, ils sont là pour ça… Elle y était déjà allé, ils ne pouvaient rien pour elle… Relativiser. Finalement, mon passage n'avait rien d'angoissant, juste les souvenirs de séjours passés, séparation, garde des enfants, lettres de témoignages mensongères, la routine de ces affaires… Ça gueule, ça pleure, ça interpelle dans tous les sens. Un coup de fil aurait suffit pour faire avancer les choses tant ma présence au TGI de Bobigny (Seine-Saint-Denis) aura été inutile. Zappé de bureau en bureau, personne capable de m'orienter, instance d'incompétence, bienvenu dans l'univers de la justice quotidienne. A propos de nos soucis d'humidité dans la maison, mon assurance me pousse à lancer une procédure contre les anciens proprios pour tromperie. Faut avoir envie…
Rebelotte la semaine prochaine. Des jeunes garçons se collent aux portes tambour, le dos aux sortants. Ça se marre dehors, les portes se bloquent puis redémarrent devant l'œil des agents de sécurité. Je peux regagner l'air, la grande avenue. Je retrouve les gamins à peine 20 mètres plus loin. Assis, ils préparent un pétard devant un autre agent. Rien à foutre, on est des rebelles. Je regagne le scooter sous les premières gouttes de pluie. La sauce en chemin. Demain y'a école. Au lit.

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