mercredi 24 juin 2015

Chansons sentimentales du monde d'avant


J'aimais dans mon coupé Peugeot ce sentiment géographique de me déplacer sur une carte. L'autoradio m'indiquait bien que l'on entrait dans le monde d'après et que des peuples étaient sur le point de se libérer à moins qu'ils ne soient sur le point de rencontrer un autre genre de servitude qui ne vaudrait guère mieux.
Alors, je préférais chercher dans la boîte à gants quelques cassettes. Mes goûts faisaient rire Nouara. Un prof de philo qui n'écoutait que de la variété des années soixante, cela ne faisait pas très sérieux. Je lui rappelait que Proust avait écrit un éloge de la mauvaise musique et qu'il y avait eu plus de concept produit par Anna Karina chantant « Ne dis rien » avec Gainsbourg que dans toute la pensée des Nouveaux philosophes.
Jérôme Leroy, Les jours d'après, La Table ronde


Samedi dernier, veille de la Fête de la musique, deux amies de ma compagne – une infirmière et une prof de chant – avaient organisé une petite soirée musicale, dégustative et arrosée. Le lieu – une cour d'immeuble parisienne –, et presque le temps, se prêtaient à accueillir l'été, à prendre un peu de plaisir. Nous étions sur le point de partir, un peu éméchés et obnubilés par le chien à sortir en rentrant, quand le silence a été demandé et qu'une femme s'est mise à chanter a capella des airs traditionnels italiens. L'Italie, c'est, pour moi, avant tout, son cinéma, celui des trente glorieuses allant du néoréalisme aux derniers films de Fellini, en passant bien entendu par la comédie des Risi, Monicelli, Scola… Vient ensuite seulement sa littérature et la figure marquante de Pavese, puis sa peinture. L'écoute inopinée de ce genre de chants me confondait de nostalgie. J'étais heureux quand ce fut fini, et avais déjà le casque à la main, quand une autre femme s'est lancée dans une interprétation encore plus troublante de la chanson de Boris Vian, Fais-moi mal, Johnny. Avec son petit air de Magali Noël – encore Fellini ! – et sa robe moulante, elle y mettait suffisamment de cœur et de la canaillerie pour semer l'émoi parmi les mâles et trouver une certaine complicité chez la gent féminine – Dire qu'à 12 ans, ma fille chantait ça par cœur… 
Sentiments accrus agrémentés d'ironie post-existentialiste avec la chanson suivante, Je suis décadente (La concierge gamberge) de Brigitte Fontaine. Nous sommes alors partis bien heureux, oubliant même de goûter à notre gâteau au chocolat…
 

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