vendredi 17 avril 2015

De père en fils



C'était il y a une dizaine d'années. Je m'étais retrouvé sur un tournage afin de m'occuper d'une comédienne espagnole. Je n'étais pas là tous les jours, uniquement ceux qui la concernaient. J'avais l'habitude de serrer la main de tous les techniciens et ouvriers avant de comprendre que ce geste, naturel pour moi, fils d'ouvriers, était assez rare sur un tournage. Après quelques semaines, j'ai remarqué la disparition soudaine d'un membre de l'équipe. Marco, le machino. Je mis ça sur le compte d'un autre compromis, ailleurs. Et ne m'inquiétais de son absence auprès de personne. Une semaine plus tard, il était de retour pour pousser le travelling jusqu'au bout. Je l'ai à nouveau salué tous les matins, mais sans oser lui demander les raisons de son absence. 
Ce n'est que lors de la fête de fin de tournage qu'assis à la même table que l'équipe image, j'entendis parler de deuil. Je tendais l'oreille et décoinçait la langue. Le machino venait d'enterrer son père, d'où cette parenthèse de quelques jours. Je bafouillais les paroles de circonstance que je connaissais mal et avec lesquelles je suis toujours aussi peu à l'aise. Au contraire, je l'invitais à me parler de son père. Ses collègues connaissaient l'histoire, certains l'avaient même croisé, travaillé avec lui. Ils se sont mis à plusieurs pour tout me raconter. Chez Marco, on était machino de père en fils, comme d'autres, ailleurs, sont dirigeants de père en fils (ou fille). Son père était un type comme ça ! Droit, intègre, respecté, à l'ancienne, une carrure de lutteur, sport qu'il avait pratiqué dans sa jeunesse. L'Italien avait poussé le chariot pour tous les grands, Delon, Gabin, Meurisse, Signoret, Belmondo, etc. Dès qu'un conflit surgissait, il imposait sa médiation, on avait recours à lui, naturellement. Son charisme était tel que lorsque des gens comme Gabin ou Delon arrivaient sur le plateau, l'Italien était le premier à qui ils allaient serrait la pince. On lui avait même proposé de passer de l'autre côté de la caméra. Il en était sidéré. Et triste à la fois. Comédien, ça ne s'improvise pas. C'est un autre métier. Becker était le patron, on pouvait difficilement lui dire non. Bon bougre, l'Italien a essayé. Quand il a compris qu'il ne pouvait attendre les réglages lumière, assis sur un fauteuil, ou supporter les poils du pinceau sur le pif pour les raccords maquillage, il a jeté l'éponge. Mais, gentleman, il a donné l'adresse d'un pote. Italien comme lui, la même carrure de lutteur, une gueule aussi. Son nom, Angiolino Giuseppe Pasquale Ventura, dit La fusée italienne. On est allé le chercher, il a dit non, bien sûr, on a insisté. Vieux roublard, il a trouvé la parade en demandant, pour ce second rôle, le même cachet que monsieur Jean. On le lui a donné. Il était coincé. Le film, c'était Touchez pas au grisbi.
Après cette histoire, j'ai avalé celle de mon père figurant chez Sautet et pas mal de verres d'un vin italien. Un peu jeune.


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