vendredi 6 mars 2015

La Vallée du silence



- J'ai lu le texte de Juan Tallon, c'est très drôle et très bien traduit.
- Merci.
- Comment ça, "merci" ? Tu n'y es pour rien !
- Un peu quand même.
- Il a appris que tu étais amoureux de lui et il t'a envoyé le texte traduit...
- Tu crois tout ce que j'écris, toi ?
- C'est pas vrai ?!!
- Que je suis amoureux de lui ?
- Non, enfin, si... C'est pas vrai que c'est lui qui t'a envoyé le texte ?
- Comment veux-tu qu'il connaisse mon blog et ce que j'y raconte ?
- Je ne sais pas. Par l'ami de Lola, là, je ne sais plus comment il s'appelle, Miguel...
- Ah oui, cela aurait été possible, mais non, je ne crois pas. En tous cas, il ne m'a rien envoyé.
- Ben si. Il a fait un commentaire !
- Ah oui, mais après.
- C'est donc qu'il connaît ton blog.
- Non, c'est moi qui le lui ai envoyé sur son blog, le lien.
- Je ne comprends plus rien.
- Pas grave, tout communique...
- Une chose est sûre, en tous cas, c'est que tu n'es pas amoureux de lui. 
- Je n'aime que toi, tu le sais bien.
- Remarque, ça m'inquiète à la réflexion... Tu m'as souvent dit que quand tu étais jeune, tu plaisais beaucoup aux hommes.
- A mon grand malheur.
- Pourquoi ? T'étais homophobe ?
- Non, je ne crois pas. Simplement, je voulais plaire aux femmes, et de ce côté, ça ne marchait pas fort.
- Oui, c'est ça. 
- Je te le jure !
- Vu le nombre de filles que tu as eu dans les bras, si on compare à moi et les hommes...
- Je n'ai pas vécu plus de 20 ans avec la même personne comme c'est ton cas. J'ai eu de longues périodes de célibat, d'où ce nombre impressionnant de femmes...
- ...Tu vois ?! "Nombre impressionnant" ! Combien ?!
- Mais c'est une formule ! C'est en rapport avec le peu d'hommes que tu as connu, ça doit être impressionnant pour toi, toutes ces femmes... 
- C'est pas le titre d'un Bergman ?
- Exact ! 
- Alors, combien ?
- Combien quoi ?
- Combien de femmes as-tu connues ?
- Je n'ai pas tenu de comptabilité.
- Tu vois ?
- Ça ne prouve rien !
- Je me dis que, avant d'être trop vieux, tu vas peut-être vouloir en connaître d'autres.
- Tu m'apportes tout ce qu'une femme peut apporter à un homme, je dis bien tout !
- Ça veut dire quoi ?
- C'est une plaisanterie !
- Pourquoi tu n'aurais pas envie d'une fille plus jeune, sans enfant, sans chien ni chat ?
- Tu oublies une chose : sans crises de jalousie !
- Je ne suis pas jalouse ! Moi aussi, je plaisante !
- Ben voyons...
- Attends, attends, encore mieux : pourquoi n'aurais-tu pas envie d'essayer enfin avec les hommes, avant qu'il ne soit trop tard ? Il est pas mal, ce Juan Tallon, sur la photo que tu as mise...

- "Avant qu'il ne soit trop tard"... 
- En tous cas, le soir, dans le lit, même quand tu te couches tard et que je dors déjà, je t'entends rire aux éclats avec lui.
- Je ris de ce qu'il écrit. C'est son livre que j'ai dans les mains, pas lui !
- Imagine ce que ça donnerait si tu l'avais en vrai !
- Mais enfin, il habite je ne sais où. En Galice, je crois.
- C'est pas ta mère qui est de là-bas ?
- Si, enfin, à côté, elle est du Bierzo.
- Tu vois ?
- Je vois quoi ? Que pour faire plaisir à ma mère, je vais aller déclarer ma flamme à Juan Tallon ?
- Tu l'as déjà fait ! Tu as son adresse ?
- Mais non, enfin ! Quand j'ai écrit que j'étais follement amoureux de lui, c'était pour rire.
- Oui, je sais : c'est une formule.
- Et je pense qu'il est totalement hétéro !
- Qu'en sais-tu ?
- Je le sens.
-
Ça ne veut rien dire. Moi aussi, je sentais ça chez toi, avant..

- Chérie, ce sont les écrits de ce type qui me font rire, son style, son humour désespéré. 
- Tu sais si tes lecteurs ont aimé son texte ?
- Non. Attends. Je regarde le nombre de clics. 
- Fais voir !
- Pas mal. Mais bon, je crois qu'elles ne sont pas très fiables, leurs statistiques.
- C'est quoi, la moyenne de tes billets ?
- Assez en dessous, quand même, mais je te dis, c'est pas très fiable. 
- Hmm... Et ça, c'est quoi ?
- Je ne sais pas. Mots-clés de recherche ?
- Les recherches qui ont conduit sur ton blog.
- Eh bien... Bon, "Claro littérature", OK, mais
"comment est la vie dune starporno" ou "sophie carle nue" je ne vois pas...
- Tu n'as jamais parlé de Sophie Carle ?
- Pourquoi ? Tu penses qu'il faut obligatoirement parler de Sophie Carle quand on a un blog ?
- Et les "starporno" ?
- J'ai dû faire un truc là-dessus, mais il y a longtemps.
- La vache ! :
"film complet sex entre famille"
- Hein ?! C'est un billet qui m'a échappé ?
- Je ne comprends pas, quelle horreur...
- Et ça : "
madonna a montrer ses parties intime", c'est dingue !
- Tu veux dire que quand on tape sur un moteur de recherche ce genre de conneries, avec toutes ces fautes de français, on est dirigé vers nosconsolations ?
- Quelque chose comme ça, oui.
- C'est terrible.
- En même temps, si tu écris des conneries comme tu dis, c'est normal que des internautes qui cherchent des conneries tombent sur tes conneries...
- Oui, ça confirme ce que je pensais, ce blogue n'attire que des égarés.
- Et ce doit être un peu humiliant tous ces clics pour Juan Tallon : il suffit que tu mettes un texte drôle, bien écrit pour que ça attire du monde.
- J'imagine que ce sont ses copains qui ont cliqué. Il a dû dire à tout le monde qu'il était enfin traduit en français  ! Etre sur ce blogue, c'est comme être publié chez Gallimard vu de Galice...

- Ouh la ! Première déception amoureuse, mon chéri.
- Ça doit être ça...
- Tu devrais peut-être en remettre un de temps en temps, histoire de rendre ton blog plus populaire.
- Mais je me fous que mon blogue soit populaire !
- Oui, oui, c'est ça.
- J'y mets mes conneries, ce que j'aime, mais tu sais bien, je ne cherche pas à ce que tout le monde le lise. C'est une sorte de journal.
- Un journal intime sur Internet ?
- Non, pas journal intime, plutôt infime.
- Et tu envoies des liens parfois quand même, comme à ce Juan Tallon ! C'est pas une recherche de nouveaux lecteurs, ça ?
- C'est la dernière fois, je te le promets. Je peux te dire, ce soir, devant le chien de ta fille que jamais plus je ne parlerai de Juan Tallon ni n'essaierai d'entrer en contact avec lui. Et n'enverrai plus aucun lien de mon blog à quiconque !
- Arrête, j'ai l'impression d'entendre les promesses régulières que fait la femme de ton copain à propos de son amant !
- Quelle vie ! On se le fait, cet apéro ?
- Tu ne devais pas t'occuper du feu ?
- Oh, pardon, j'oublie tout en ce moment.
- Ah, l'amour...
- Non, la littérature !
- Elle a bon dos, la littérature...
- Tu sais, dans la région de ma mère, il existe un endroit qui s'appelle la Vallée du silence. Il faudra que je t'y emmène un jour...

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