mercredi 18 mars 2015

Je vous dirai combien ça fait


Gabriel Bouys

Je sais bien que l'on célèbre ces jours-ci la disparition de Jean Ferrat. Mais je n'aime pas les célébrations, même au football. Et puis, je préfère Ferré à Ferrat, l'anarchie au communisme pour aller vite. Ces jours-ci aussi, à la veille d'une nouvelle mascarade électorale, et grâce à un système libéral meurtrier, il est beaucoup question d'un parti qui se dit national et que l'on dit banalisé - ceux qui utilisent cette formule ont-ils lu Hannah Arendt ? -, de patriotisme et de toutes ces inepties. 
Je me souviens qu'en 1993, lorsque j'appris que Ferré irait chanter à la Fête de l'Huma, j'ai pensé faire une petite entorse à mes principes en me rendant pour une fois à la Courneuve. C'était l'été, juillet plus précisément. Je suis sorti du lit d'une fille pour aller prendre un café rue de Charonne. En passant devant le marchand de journaux, j'ai vu cette une de Libération, je crois. Ce con de Léo était parti le jour de la fête nationale ! Pour toutes ces raisons, j'ai en tête sa Marseillaise à lui, bien plus irrévérencieuse que celle de Gainsbarre.





J'connais une grue sur le Vieux Port
Avec des dents longues comme la faim
Et qui dégrafe tous les marins
Qu'ont l'âme chagrine et le cœur d'or
C'est à Marseille que j' vais la voir
Quand le soleil se fout en tweed
Et que l'Mistral joue les caïds
C'est à Marseille qu'elle traîne le soir
Elle a des jupes à embarquer
Tous les chalands qui traînent la nuit
Et des froufrous qui font tant d'bruit
Qu'on les entend au bout du quai
Il suffit d'y mettre un peu d' soi
C'est une putain qu'aime que la braise
Et moi j'l'appelle la Marseillaise
C'est bien le moins que je lui dois

Arrête un peu que j' vois
Su tu fais l'poids
Et si j'en aurai pour mon fric
Arrête un peu que j' vois
Si les étoiles couchent avec toi
Et tu m'diras
Combien j'te dois

J'connais une grue dans mon pays
Avec les dents longues comme le bras
Qui dégrafait tous les soldats
Qu'avaient la mort dans leur fusil
C'est à Verdun qu'on peut la voir
Quand les souvenirs se foutent en prise
Et qu'le vent d'est pose sa valise
Et qu'les médailles font le trottoir
Elle a une voix à embarquer
Tous les traîne-putains qu'elle rencontre
Et il paraît qu'au bout du compte
Ça en fait un drôle de paquet
Il suffit d'y mettre un peu d' soi
Au fond c'est qu'une chanson française
Mais qu'on l'appelle la Marseillaise
Ça fait bizarre dans ces coins-là

Arrête un peu que j' vois
Si t'as d'la voix
Si j'en aurais pour mes galons
Arrête un peu que j'vois
Et puis qu'j'abreuve tous vos sillons
Et j'vous dirai
Combien ça fait

J'connais une grue qu'a pas d'principes
Les dents longues comme un jour sans pain
Qui dégrafait tous les gamins
Fumant leur vie dans leur casse-pipe
C'est dans les champs qu'elle traîne son cul
Où y a des croix comme des oiseaux
Des croix blanches plantées pour la peau
La peau des autres bien entendu
Celle-là on peut jamais la voir
À moins d'y voir les yeux fermés
Et l'périscope dans les trous d'nez
Bien allongé sous le boulevard
Suffit d'leur filer quat'bouts d'bois
Et d'faire leur lit dans un peu d'glaise
Et d'leur chanter la Marseillaise
Et d'leur faire une belle jambe de bois

Arrête un peu tes cuivres
Et tes tambours
Et ramène-moi l'accordéon
Arrête un peu tes cuivres
Que je puisse finir ma chanson
Le temps que j' baise
Ma Marseillaise


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire