mardi 24 février 2015

L'amour, la vraie vie et l'autre

Nous en étions à évoquer son difficile retour à la morosité parisienne après une escapade guatemaltèque lorsque la voix de C. s'est étranglée et a rendu l'âme le pichet d'irancy très moyen. Son ex, P., un ami de plus de 25 ans que je ne vois plus en raison de sa stupide jalousie lorsqu'il apprit que je fréquentais encore C, bref, ce con de P. l'avait demandé récemment en ami sur Facebook. Je ne sais pas vraiment ce qu'un nouvel ami FB implique, mais j'imagine que ça fait de votre vie privée une histoire ancienne. Et que c'est d'autant plus embarrassant lorsqu'il s'agit d'un ex que vous avez embrassé dix ans durant. Toujours est-il qu'elle a refusé sa demande d'amitié, ou simplement pas répondu. Mais elle n'a pu s'empêcher de jeter un oeil à sa page une fois ou deux. La deuxième fois ou la troisième a été la bonne. La photo du profil de P. était enfin une photo de lui et l'accompagnait un portrait de sa nouvelle conquête, le statut ayant été transformé en En couple. C me disait qu'elle était contente pour lui, mais que ça la démoralisait sévère quand elle se souvenait de l'inscription de P. sur FB du temps où ils vivaient ensemble, de son profil alors sans statut... Evidemment, P. n'avait jamais, à cette époque, envoyé à C. une demande d'amitié. L'amour suffisait certainement. C. tentait d'effacer toute amertume des mots qu'elle m'alignait avec dignité et un verre de saint-nicolas pas terrible non plus à la rescousse. A l'écouter, je me demandais si je n'avais pas fini par ne plus aimer le vin ou si cet établissement devait définitivement être rayé de la carte tout en me félicitant sincèrement de ne pas être sur FB, de m'épargner ce genre de désagrément, la vie étant trop courte pour s'infliger volontairement des souffrances inutiles. C'était une pensée confortable. 
Peu après la quarantaine, C. s'était séparée de P. après l'avoir trouvé, lui qui s'était toujours opposé au téléphone portable, dans la rue, en bas de chez eux, au téléphone ! Cet imbécile avait non seulement souscrit un abonnement et acheté un portable, mais passait ses coups de fil au pied de leur immeuble. Elle était par la suite tombée sur une photo oubliée dans la poche d'une chemise. Il s'agissait d'une jeune asiatique que C. allait, quelques jours plus tard, croiser dans les couloirs de l'école où P. et elle enseignaient ! Une épée, ce P.
Au moins, avec la nouvelle compagne de P., C. avait affaire à une fille de son âge. Je suis allé pisser et notre conversation a ensuite glissé sans encombre vers la question des sites de rencontres et autres applications intelligentes. A maintes reprises, j'avais encouragé C. à s'inscrire, à rencontrer, à s'éclater, à ne rien attendre, à voir ce que ça donne, à ne pas rester sans vie sexuelle. Tout en confessant que j'étais bien heureux de ne pas avoir, aujourd'hui, à chercher quelqu'un. Je me suis remémoré, à haute voix, l'histoire du pote de ma fille et du prof de physique branché sur son appli même au boulot, avec le risque de se faire griller par un élève ou un collègue homo également inscrit et connecté sur ce site. C. n'en revenait presque pas. Rien ne semblait plus l'étonner. 
Elle vivait avec son temps. Mais rechignait à l'idée de s'inscrire et de se mettre en chasse. Finalement, le mauvais vin aidant, elle me confiait avoir, pour s'amuser, mis son profil sur un site brésilien, histoire aussi de pratiquer la langue, ben voyons, de ce beau pays où elle doit se rendre, de nouveau, en juin prochain. Si la formule l'a distraite au début, elle a vite déchanté devant les photos des types torse nu au bord de la piscine et des messages genre lettre type de la sécu qu'ils lui envoyaient, copiés-collés d'autres "correspondances" sur ce même site. On ne s'en sortait pas. 
C. s'étonnait de l'attitude de certains amis. Pas toi, me rassurait-elle. Surtout chez ses amies. Celles en couple, en particulier. Elles esquivaient généralement la question de la vie privée de C. Elles ne voulaient pas entendre C. parler de ses angoisses, échappant ainsi aux leurs, aux couleuvres que leurs mecs leur avait fait avaler, à la lâcheté qui les avait fait rester en couple, à l'excuse des enfants ou de la maison pour ne pas se séparer. C. était allée la veille à un dîner sympa. Elle y avait fait la rencontre de gens sympas. Avec des enfants. Et une maison. Mais pas de célibataire. En rentrant chez elle, elle avait senti passer un grand vent de solitude sur sa vie. Pourtant, elle avait tout pour elle, intelligente, cultivée, drôle, aisée, un bel appartement dans le 5e...
Au fond, C. ne savait ce qui était le plus déprimant, jouer le jeu virtuel ou ne faire aucune rencontre dans le réel.
Je me suis souvenu de mon ami Pierre qui se plaint souvent d'être seul, de ne pas être tombé amoureux depuis des années, réfugié dans une sexualité effrénée dans les saunas et autres backrooms. Chez les homos, m'a-t-il dit un jour, la tyrannie de l'âge est aussi cruelle que pour les femmes. Grâce à un physique d'ado, à 50 balais, il fait encore illusion dans la pénombre de ses lieux de baise. Mais la sortie à la lumière est interdite. Une fois, il est allé avec un type fumer une clope sur le trottoir. Lorsque le garçon, avec qui il venait de passer une heure de plaisir, s'est retourné sur Pierre il n'a pu éviter un "Oh, putain !" qui fend encore le coeur de mon ami.  Pierre redoute le jour où il devra payer pour baiser. Alors, il repousse l'échéance à coup de coups sans après. 
Sur le chemin du retour, le froid sur le scooter m'a fouetté sans pitié. J'ai carressé le chien, pris une douche et gagné le lit sans passer par la case consolations comme bien des soirs. Ma compagne a voulu savoir pourquoi je rentrais si tard. Je n'avais pas envie de plomber nos retrouvailles, ai ôté son désespérant peignoir rouge et promis de tout raconter - ou presque - aujourd'hui ici. 

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