samedi 31 janvier 2015

Du terrorisme et de l'infantilisation de nos vies

Au lendemain de la tuerie de Charlie, ma compagne promenait le chien avec sa fille quand une bande de gamins du quartier, et à vélo, ont brandi sur elles des mitraillettes imaginaires en braillant : « Nous aussi, on va faire des attentats ! » La petite était choquée, prise soudain d'un sentiment d'insécurité, reprochant à sa mère de s'être installée dans une banlieue couvant en son sein de futurs apôtres du terrorisme. C'est un enfant. On a tenté de la rassurer en supputant chez ces autres enfants la connerie plutôt qu'une réelle détermination à aller se former en Syrie à leur majorité. 

On le sait, les enfants sont les plus vulnérables devant l'idéologie et son matraquage. Celle de la publicité et des marques, celle des technologies et des réseaux sociaux, celle des chanteuses au cerveau proportionnel à leur petite tenue, etc. Les enfants peuvent subir inconsciemment la dictature de l'émotion, de la peur, du repli sur soi ou sa tribu. Mais avec l'âge, l'acquisition de certaines connaissances, se forme un esprit critique, ouvert, capable de faire la part des choses face au discours ambiant. Idéalement, j'entends. 
Je discutais hier avec mon copain tapissier-philosophe. Fringant quinquagénaire, cet artisan sans le bachot aime lire et en autodidacte s'est construit une culture philosophique qu'il a transmis à ses enfants, l'âiné venant d'être reçu à la fois dans une grande école dont j'ai oublié le nom et à l'EHESS. Il me parlait l'autre jour de sa fierté de se voir socialement dépassé par sa progéniture. Je ne pouvais qu'approuver cette satisfaction, sachant qu'à mon tour, avec un peu de chance - victoire ! -, je serai bientôt dépassé par mes filles.
Mais hier, mon copain était encore sous le coup de la colère après une soirée passée chez son frère. Un débat avait surgi à propos des frères Kouachi et des "cellules dormantes". Il me montrait le long texto envoyé deux heures auparavant à sa belle-soeur. J'avais du mal à saisir le fond du problème, n'ayant pas assisté au combat de la veille. Mais il persistait, citant Parménide et Platon, et me montrait un autre SMS, destiné à son frère qu'il aime et avec qui il ne peut plus parler. Il y évoquait le chemin de connaissance que nous prenons grâce à nos lectures, aux expériences personnelles..., ce frère reprochant à mon copain de ne parler qu'à travers les philosophes. Il me contait également, entre souffrance et honte, avoir prêté il y a quelques années Le mythe de Sysiphe à son frangin et n'avoir eu aucun retour, si ce n'est que sa lecture était trop compliquée. Le livre a d'ailleurs disparu et mon copain a dû le racheter. Il en venait à la triste conclusion que beaucoup de personnes aujourd'hui ont peur des mots, restent à la surface des choses, font leurs des bouts de la doxa du moment, se plient sans résistance au conditionnement médiatique quotidien, tellement plus facile à accepter que le travail et la recherche personnels demandant un effort intellectuel que plus grand monde ne se permet. Désormais, en ces temps d'infantilisation généralisée des esprits, émettre la moindre réserve sur le discours ambiant vous fait passer pour un type arrogant, un dingue, voire un terroriste. 
C'est ce qui semble être arrivé à Jean-François Chazerans, ce prof de philo de Poitiers, suspendu pour "apologie du terrorisme". Dénoncé par ses propres élèves, certains tout au moins, suivis par les parents outrés par les propos prêtés au prof. Quels sont ces propos ? Nul ne le dit, et Jean-François Chazerans lui-même ignore totalement ce qu'on lui reproche. Aimant le débat, il a juste tenté de comprendre, en groupe, comment on en était arrivé là. « Ma réaction de citoyen est de dénoncer avec force ces actes odieux, horribles. On ne peut quand même pas m’accuser d’avoir la moindre sympathie pour les jihadistes. Ce sont des groupes fascistes que je combats. Il n’y a pas eu une quelconque apologie du terrorisme lors de mes cours. Au contraire… » L'agora chère à ce passeur d'idées n'a pas survécu à l'émotion collective, à l'étrécissement de l'esprit critique, aux passions confuses. 
Les "affaires" risquent d'ailleurs de se multiplier à l'heure de cette hystérie médiatico-sécuritaire dont se revêt notre pays. Alors qu'on s'interroge sur le cas d'un enfant de 8 ans à Nice, frappé de la même accusation que le prof de philo, on apprend la convocation d'un autre gamin, de 9 ans, dans l'Aisne. Et notre ami Jérôme Leroy revient sur deux autres cas dans la belle ville de Nantes. 
Liberté d'expression mon cul, aurait dit Zazie. Ce ramdam pathétique a tout de même du bon. Puisque notre cher gouvernement semble avoir reculé sur l'un des pans de la scélérate loi Macron, celui instituant un "secret des affaires", réduisant de ce fait même la sacro-sainte liberté de la presse au nom de laquelle des millions de nos concitoyens ont défilé. On a eu chaud. De quoi aurions-nous l'air ? Les apparences sont sauves. Oui, les apparences. Cette nouvelle, reprise partout - les journalistes, pas cons, savent ce qui est bon pour eux -, ressemble étrangement à un écran de fumée, une belle diversion permettant le passage en douce de ladite loi... Mais ça, bien entendu, c'est une autre histoire.

2 commentaires:

  1. Votre article est tres juste. Pour completer votre point de vue, avec un angle tres different et beaucoup plus sceptique, je vous invite à vous procurer une kippa, et vous promener seul dans Paris, prendre le metro, dejeuner, boire un verre. La liberté d'expression - corporelle et orale - existe, vous verrez. J'imagine même qu'un ami pourrait vous filmer à distance...

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  2. Cher Pierre, je fais mon testament et on y va ensemble. Mais je n'ai pas de smartphone pour filmer. Vous avez ça ?

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