lundi 29 décembre 2014

Les mots sont importants


Hiver 1989. Je viens de finir la lecture de L'idiot, échappant comme j'ai pu au Bicentenaire clipé de la Révolution. Je vais bientôt remplacer une libraire en instance de divorce qui aura confondu la caisse du magasin avec le guichet automatique de sa banque. Mais en ce 29 novembre, je suis enfoncé dans mon fauteuil du Saint-André des Arts de Roger Diamantis, que je vais apprendre à connaître quelques années plus tard. Vient de sortir Palombella Rossa, le sixième long métrage de ce curieux italien que j'avais pris pour un clone de Woody Allen en découvrant Ecce bombo au ciné-club de Claude-Jean Philippe. Il y eut ensuite Bianca et La messe est finie, sortis à un an d'intervalle chez nous, chacun avec deux ans de retard sur leur exploitation italienne. Moretti m'est devenu indispensable. Je vois chacun de ses films plusieurs fois, recherche les plus anciens. Sa colère est la mienne. Jeune homme mal dans ma peau, ne sachant que faire de ma vie, si ce n'est lire et voir des films, je me perds dans des histoires amoureuses fantasmatiquement chaotiques et vitupère contre la connerie ambiante, la mienne en premier lieu. C'est novembre toute l'année. 
Le Mur vient de tomber. Ça parle de la fin des idéologies et toutes ces sornettes. Intuitivement anarchiste, je me perds un premier temps devant le portrait de ce communiste amnésique, d'autant que, suite à une panne, le projectionniste a mélangé les bobines de ce film au récit déjà déconstruit, mêlant flash-backs, hallucinations mentales, et souvenirs confus.
Je tente de me dégager de l'encensement général, de l'étiquette collée à Moretti le faisant passer à la fois pour le grand vizir du cinéma italien et pour le dernier cinéaste de la péninsule encore vivant. Comme à mon habitude, je revois le film une fois, puis deux. J'aime trop cet homme pour rejeter son film et son discours. Moi aussi, je veux retrouver les goûters de mon enfance, les déplacements à l'extérieur, le plaisir de jouer et ma mère venant me chercher à l'école. Et j'ai envie de baffer toute personne recourant au prêt-à-parler. 
 


C'est le dernier film en colère de Moretti avant son cancer, qu'il relatera dans Journal intime. Il fait partie de ces films qui m'ont marqué mais que je ne souhaite pas revoir aujourd'hui. Je préfère garder en mémoire certaines fulgurances retrouvées grâce à la toile. Moretti s'est depuis institutionalisé et m'intéresse beaucoup moins.
 

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