mercredi 3 décembre 2014

Imitation de Cioran à l'apéro




- Raconte-moi une histoire.
- Quelle histoire ?
- Je ne sais pas, ce que tu as fait aujourd’hui, ce qui s’est passé.
- Il ne s’est rien passé de particulier. J’ai fait 10 heures de présence au boulot, j’ai roulé sous la pluie et dans le froid, ça glissait un peu, j’avais plein de buée dans le casque, je voyais rien,  j’avais peur de tomber de nouveau, je redoublais de prudence,  je me suis fait klaxonner plusieurs fois, mais je m’en foutais, je savourais la chance d’être vivant.
- C’est tout ?
- C’est pas suffisant ?
- Ça fait pas vraiment une histoire.
- J'ai aussi pensé à toi, toute la journée. Je suis heureux de te retrouver et j’ai faim.
- Moi aussi, j’ai pensé à toi toute la journée.
- Je te sers  un verre ?
- C’est bien que tu sois heureux de me retrouver, parce que tu vas me retrouver pendant un long moment a priori.
- Je sais. Tu ne m’as pas dit pour le verre…
- Oui, merci. Serre-moi dans tes bras d’abord.
- J’adore…
- Pourquoi tu ne me racontes plus d’histoires alors ?
- Au lit ?
- Oui. Tu sais que j’ai toujours aimé quand tu me racontais des histoires au lit.
- Mais souvent, quand je me couche, tu dors déjà.
- Tu passes tes soirées sur ton blog…
- Pas toutes. Parfois, je sors voir un match.
- Et tu te couches tard. Tu vois, ce n’est pas moi qui m’endors tôt. Tu me le sers, ce verre ?
- Avec tout ça, j’avais oublié.
- C’est sur ton blog que tu racontes tes histoires maintenant.
- J’en ai besoin. Tu tiens bien ton journal, toi.
- Ce n’est pas pareil, personne ne lit mon journal. Toi, tu t’adresses à des lecteurs.
- Je fais semblant. Je n’écris que pour moi.
- Oui, mais tu publies ce que tu écris.
- C’est ce qui me pousse à cette discipline.
- Je ne comprends pas.
- Moi non plus.
- Arrête tes histoires !
- Faudrait savoir.
- Sers-moi un autre verre et explique-toi.
- Bien, chef. On devrait peut-être préparer le repas, non ?
- Ne te défile pas.
- Je ne me défile pas, j’ai faim. Bon, comment dire ? Tu connais mon rapport à l’écriture. J’ai essayé plusieurs fois de tenir un journal, mais ça ne dure jamais. Au bout de quelques jours, je trouve ça absurde, grotesque.
- J’aime bien quand tu imites Cioran.
- Ce que j’écris n’a rien à voir avec Cioran.
- Quand tu prends un accent roumain pour dire « grotesque », j’aime bien.
- Bref, je sais que ce blog, ce n’est pas grand-chose, mais ça a un sens pour moi, celui de rendre concret un écrit. Le journal intime, c’est signé, et ça a tout de suite un côté prétentieux.
- Le blog aussi, non ?
- Je ne signe pas.
- Ça, je n’ai jamais compris pourquoi. Tu aurais plus de lecteurs s’il y avait ton nom sur le blog.
- Je m’en fous.
- Je ne te crois pas.
- C’est la vérité. Evidemment que ça me fait plaisir de voir qu’il y a des lecteurs, mais ce n’est pas ce que je cherche vraiment. Comme je te le disais, c’est un exercice purement égoïste, pour m’obliger à écrire avec régularité.
- Mais tu ne crois pas que tes lecteurs aimeraient savoir à qui ils ont affaire ?
- Oui, peut-être, mais, sous mon nom, je n’oserais pas écrire tout ce que j’écris.
- C’est ça que je ne comprends pas.
- Mon nom est relié à certaines publications, bien définies, sérieuses… Sur le blog, je me permets tout. Je peux parler sérieusement d’un bouquin…
- …Ou de Nabilla !
- Voilà ! Exactement, je peux me permettre cette frivolité, je peux mal écrire, retoucher un billet un ou deux jours après sa publication, l’effacer si j’en ai honte finalement… Bref, je fais ce que je veux. En tous cas, j'en ai l'illusion. Et j’ai faim !
- J’aimerais bien que tu me racontes de nouveau des histoires au lit.
- T’as qu’à ouvrir un blog et te coucher tard.

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