jeudi 11 décembre 2014

Au lit avec Sophie

- T'as déjà vu les films de Sophie Letourneur ?
- Non. Tout le monde parle du dernier, là, on dirait…
- Regarde, elle est dans Elle.
- Dans le lit ?
- Oui !
- C'est qui, la fille avec elle ?
- Ben, Lolita Chammah !
- La fille d'Isabelle Huppert ?
- Ben oui.
- C'est vrai qu'elle est actrice comme maman.
- Elle est assez mignone, Sophie Letourneur, non ?
- Mouais…
- Elle ressemble un peu à Virginie Ledoyen, tu trouves pas ?
- Virginie Fernandez, tu veux dire ?
- Non, Ledoyen.
- Fernandez, c'est son vrai nom. Comme ma mère.
- Ta mère s'appelle Fernandez ?
- Ben oui, tu savais pas ? Et Virginie aussi, mais ça faisait pas assez petite actrice française. Et alors, elle dit quoi, Sophie Letourneur dans son lit ?
- C'est insupportable.
- M'étonne pas…
- Lis, tu verras, t'as envie de lui mettre des claques.
- Oh, non, rien que l'idée de lire les propos de deux filles qui prennent la pose dans un lit avec éclats de rire simulés, ça me fatigue à l'avance. Raconte-moi, plutôt.
- En gros, elle dit qu'elle a 7 ans d'âge mental, qu'elle fout rien de la journée, qu'elle peut pas dormir seule alors elle prend des hommes-doudou qui en genéral sont assez déçus qu'il ne se passe rien d'autre au lit, qu'elle a rencontré Lolita Chammah dans une maison de vacances, qu'elle a tourné le film dans sa propre maison, c'est son propre vernis que Lolita porte aux orteils, sa robe, son pull, ses chaussures, qu'elle a fait une école d'art pour être peintre, mais qu'elle n'arrivait pas à être toute seule avec elle-même dans son atelier, elle déprimait, alors elle a rencontré un producteur qui lui a dit "t'as qu'à faire un film". Ecoute, elle dit : "Je n'ai jamais eu à émettre le vœu d'être cinéaste !" Franchement, t'as envie de voir ses films quand t'entends ça ?
- C'est quoi, ça "Enlève ton tee-shirt, je te fais une omelette" ?
- Un dialogue du film. 
- Ah, oui, quand même… Il me semble que son producteur, c'est Emmanuel Chaumet, un type qui ne fait que des films fauchés. C'est lui qui a produit La fille du 14 juillet, tu sais.
- C'était bien, ça. On avait beaucoup ri. Surtout toi.
- C'est vrai. Mais je crois qu'il sont en procès depuis, pour des histoires de fric. Il produit aussi Justine Triet aussi qui fait des films socialistes, la bande à Vincent Macaigne, des films de copains trentenaires parisiens.
- Du cinéma de bobos ?
- J'aime pas ce terme. C'est bon pour le Nouvel Obs ou France Inter. C'est pour ne pas dire qu'on a un cinéma de petits bourgeois depuis la Nouvelle vague. Ça a donné parfois de belles choses aussi. Et puis des exceptions comme Eustache. 
- Eustache se rêvait en petit-bourgeois aussi, non ?
- Il avait un CAP d'électricien et était OS à la SNCF. Mais il posait un peu en dandy, c'est vrai.
- Pialat aussi.
- En dandy ?
- Non, en bourgeois.
- Pialat, c'est compliqué. Il détestait la Nouvelle vague d'ailleurs. Tu sais qu'il vivait pas loin de chez mes parents ?
- Tu me l'as déjà raconté.
- Je me fais vieux. Je radote.
- Non, j'aime bien quand tu me racontes des histoires.
- Elle parle un peu de notre époque, la Letourneur, j'imagine, non ?
- Elle dit : "Il n'y a ni portable, ni voiture, ni profession dans le film. C'est un conte. Il n'a pas à s'inscrire dans une réalité socio-économique."
- Le fait de dire ça, c'est déjà de l'idéologie. Ça s'inscrit donc dans une réalité – comment elle dit ? – socio-économique.
- En tous cas, elle a la carte, cette petite. Elle est dans Libé, les Inrocks, Le Monde
- Ça doit faire un cinéma sympa. Qui ne dérange personne, qui coûte pas cher et qui fait travailler les gens et se maintenir les industries techniques. Et les journalistes, issus du même milieu, se reconnaissent là-dedans. Ça les interpelle dans leur vécu quelque part.
- Tu crois qu'elle vient d'où, cette Sophie Letourneur ?
- Encore une "fille de" ? Tu crois que c'est la fille de Jacques Tourneur ?
- Tu sais quoi ? J'ai envie d'aller voir le film maintenant, histoire d'en avoir le cœur net.
- Tu es folle ?
- On a passé une demi-heure à la démolir, mais peut-être que ses films sont bien.
- Tu me raconteras alors. Moi, je préfère rester au lit avec Vila-Matas et Robert Walser… 

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