mercredi 15 octobre 2014

Vie de scénariste


J'ai parmi mes connaissances quelques scénaristes. Des gens qui rament. D'autres un peu moins. Je ne connais que de loin des scénaristes qui roulent sur l'or. Et encore, je n'en suis pas sûr, puisque je ne les connais que de loin… Ah, si, j'en connais un qui n'a aucun souci d'argent, mais ça n'a rien à voir avec son métier, c'est de famille… Ça me rappelle cette blague : quel est le secret pour finir par amasser une petite fortune en faisant du cinéma ? Réponse : c'est de se lancer avec une grosse fortune… 
Cet après-midi, dans un café parisien branché, où l'on mange très mal (mais n'est-ce pas un pléonasme ?), un spécimen de cet étrange métier s'est assis à la table en face de moi. Il était bilingue et féminin. Avait un beau décolleté et l'accent argentin quand il parlait castillan. Jeune et en pleine forme. Il fallait l'être face à celui qui était sans aucun doute le réalisateur. Argentin lui aussi. Avachi et sans décolleté. Jeune aussi. Et déjà arrogant. N'écrivant pas une ligne. J'observais cette pauvre fille qui, après s'être inquiétée de la santé de son patron qu'elle trouvait trop maigre, mangeait-il suffisamment ?, essayait de contenir son exaspération devant ses suggestions. Il ne tenait pas à faire une de ces comédies romantiques qui lui donnent de l'urticaire. Ce devait être un auteur. Il parlait fort comme si ses idées devaient subjuger la clientèle. Mais c'est ce que nous avons écrit la dernière fois ! a-t-elle fini par lâcher. Il l'a défiée du regard, sans avoir à insister, avec un sourire charmeur qui lui a fermé le clapet. C'est qui le patron ? Elle semblait perdue et s'est trouvé une contenance en bombant le torse, déjà opéré apparemment. J'ai repris un demi. 
J'ai repensé à mon pote P, avec qui il m'arrive d'aller voir des matchs de foot dans un mini-estaminet du 11e. Lorsque le film, pour lequel il avait signé son premier scénario en sortant de l'école, fut nommé aux césars, le producteur, militant de gauche, avait improvisé une retransmission de la cérémonie pour l'ensemble de l'équipe. La tenue de gala, c'était pour lui et sa femme, sans oublier la réalisatrice et son mari. Les petites mains, celles qui avaient rendu le film possible, celles que la réalisatrice ne manqua pas de remercier en se voyant attribuer l'affreuse statuette, étaient cantonnées dans un sous-sol de la boîte de prod, avec vin rouge en cubi et cacahuètes leader price dans des assiettes en carton. Quelques jours avant le tournage, le même producteur avait demandé à P. de renoncer à sa dernière échéance de paiement. Le budget était vraiment ric-rac, fallait être solidaire. P. ayant refusé, il n'a jamais plus retravaillé pour ce producteur. Heureusement, avant d'être blackisté à vie, il s'est baffré de cacachuètes ! Quelle sale race de pique-assiette, ces scénaristes !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire