mercredi 15 octobre 2014

Ma vie sexuelle (Comment je me suis emmerdé)


En attendant le métro, distrait par les panneaux publicitaires du quai d'en face qui promettaient l'adoption pour tous, j'ai été surpris par les cris d'une femme. J'ai effectué un léger panoramique et observé un moment cette femme qui haranguait un homme marchant devant elle. Etait-ce son mec ? Ou engueulait-elle simplement le type pour une raison ou pour une autre ? Deux hypothèses après tout pas du tout incompatibles. Le type avait bien quatre-cinq mètres d'avance. La trotteuse-raleuse ne marchait que d'un pied. Le gauche. Le droit était juste ramené régulièrement à hauteur du premier qu'elle balançait alors devant. Le type a ralenti sans s'arrêter. Etait-elle malade ou faisaient-ils tous deux partie des nombreuses personnes SDF qui squattent la station ? Ils ont traversé tout le quai pour regagner la sortie. 

Depuis que je ne roule plus en Vespa, je me surprends à surprendre les autres. Personne autour de moi n'avait levé les yeux de son petit écran pour regarder cet étrange duo. On ne voit plus ce que l'on voit souvent. On l'accepte. On intègre les corps au décor. Si je continue à me déplacer en transports en commun, je finirais par prendre le pli. Il n'y a pas de raison que ça se passe autrement.
Je suis revenu au slogan publicitaire. L'adoption pour tous. C'est une pub pour le site de rencontres Adopte un mec. Si mon panoramique avait été filmé, qu'il avait constitué un plan dans un film, le lien entre la pub et la saynète aurait échappé à certains spectateurs, pour d'autres, il aurait paru grossier. La fiction est souvent très en deçà du réel. 
Cette pub succédait à une autre pub entrevue quelques secondes auparavant dans un couloir erratépique. Pour sceller votre couple, faites une nouvelle rencontre. Cette fois-ci, il s'agissait d'une pub pour les notaires. En entrant finalement dans le wagon, j'ai aperçu un couple qui s'embrassait. Des notaires ? Un mec adopté ? J'ai repensé à un type dont on m'a récemment raconté l'histoire, une partie tout au moins. C'est un cinéaste français. Du cinéma dit d'auteur. Il a une vie sexuelle palpitante bien que marié et père de famille. Et malgré une gueule assez difficile. Sans parler de ses maigres ressources financières. Il met en ce moment la main au dernier chapitre d'un roman. Qui conte cette vie sexuelle palpitante. Et une histoire qui a failli le détruire. Il se fait adopter régulièrement et évolue dans des réseaux échangistes, partouzards. Son histoire a pour sujet une jeune fille black de 16 ans qui a la particularité d'être nymphomane. Il la recevait entre 5 et 7 dans sa garçonnière, qui lui sert également, à l'occasion, de bureau. Elle arrivait généralement d'un autre lit et le quittait pour en rejoindre un autre. Et ainsi de suite. Le cinéaste-romancier s'est quand même accroché et en a fait un texte de plusieurs pages à interlignage simple. La vogue de l'autofiction certainement. Il le fait lire à ses amis et intègre leurs commentaires dans ce dernier chapitre qui n'en finit pas. Il faut ajouter, pour mieux comprendre la démarche de cet auteur, qu'il avoue dans le livre aimer se faire sucer lorsqu'il écrit à son mac.
J'ai eu, moi aussi, une période site de rencontre, il y a une dizaine d'années. Je vivais seul depuis quelques mois, essayant de surmonter l'épreuve d'une rupture et surtout la misanthropie l'ayant suivie. J'y passais toutes mes soirées. Et une partie de mes matinées. Et parfois de l'après-midi. J'avais le vertige, je devenais dingue. J'avais rapidement saisi quelle méthode adopter et pouvais, si je le souhaitais, rencontrer une fille par jour en m'y prenant bien. J'en ai rencontré quelques unes. Le temps d'un café ou d'un verre de vin. Parfois un dîner. Une nuit ou deux avec quelques unes. Je n'ai jamais cherché de plan cul selon l'expression consacrée. Mais les rencontres se résumaient bien souvent à cela. Aujourd'hui, certains sites sont clairement dédiés au cul. On trouve en ligne tout ce que l'on cherche. Parfois même l'amour ou la passion apparemment. A cette époque, bien plus déprimé après qu'avant, j'en ai conclu, peut-être rapidement, que ces services proposaient en fait des non-rencontres. A force de remplir des cases en cocher d'autres (âge, couleur des cheveux, des yeux, taille, silhouette, caractère, style, lieu de résidence, goûts, etc.), d'attendre son tour pour chater, le champ des possibles se rétrécit considérablement. On est loin de la rencontre, de l'imprévu, de la non-sélection, du hasard, de la vie en somme.
Les histoires d'amour finissent mal en général. La vie aussi. Si par malheur, mon histoire actuelle prenait fin demain, tout est possible, je ne m'inscrirais par sur un site, je pense. J'irai m'installer dans un coin au soleil, quelque part dans le sud, et me consacrerai aux livres qu'il me reste à lire, à ceux que j'aimerais relire, au vin que j'aime, à celui que j'aimerais découvrir, rien de plus, en attendant la mort. Quelque chose qui ressemblerait quand même au bonheur…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire