samedi 20 septembre 2014

Fils de rien

1982, les plans sociaux se multiplient dans l’industrie automobile française. Le tournant néolibéral ne dit pas encore son nom mais entame sa marche inexorablement destructrice. Les ouvriers déchantent, tombent par milliers. Le gouvernement de gauche envoie les forces de l’ordre évacuer les grévistes des usines où se déroulent des « ratonnades » contre les collègues étrangers, jugés plus dociles. Le narrateur du roman de Stéphane Guibourgé a 16 ans lorsque son père est licencié du site Talbot de Poissy. Ce « fils de rien », abandonné par son frère, disparu du jour au lendemain sans un mot, subit la violence de l’homme déchu, son silence. Il trouvera refuge auprès de gitans qui ont aménagé leur camp sous un pont et qui l’initieront à la délinquance. Mais c’est au sein d’une bande de skins, dite la Meute, qu’il acquiert une identité en devenant Falco. S’en suivent les bastons au sein des kops des stades de foot, les viols de filles arabes, juives ou lesbiennes, d’autres ratonnades, une sauvagerie quotidienne comme un revers de la violence économique. Si Falco cherche ainsi à se prouver qu’il est encore vivant, il sait qu’il n’existe d’autre issue à ces absurdes et révoltants actes criminels qui ne passe par la case prison. Stéphane Guibourgé construit son récit sec, sans pathos ni fascination, certainement dérangeant, en conjuguant habilement les différents âges de son narrateur. Après sa libération, Falco, hanté par son passé, devient à son tour un père démissionnaire mais tente, en pleine montagne, de donner un toit à son fils car, au fond, quarante ans plus tard, les conditions de vie réservées aux enfants d’humiliés restent pour ainsi dire les mêmes. 

Stéphane Guibourgé, Les fils de rien, les princes, les humiliés, éd. Fayard, 17 €

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